La croix implantée au carrefour de Verzun est l’occasion d’évoquer l’histoire de la métallurgie d’art qui s’est développée au XIXe siècle et fait encore partie de notre environnement.

Après avoir rappelé l’aspect technique de la création des croix en fonte et leur diffusion, nous examinerons rapidement les différents motifs recensés, pour terminer par un descriptif de l’objet de cette notice.

 

Un nouvel art né de la Révolution Industrielle…

La Révolution Industrielle du XIXe siècle a nécessité une production expansive d’acier et de fer. Le développement de la sidérurgie a créé de nouvelles techniques d’affinage qui permettaient d’utiliser la fonte brute sous d’autres formes et notamment la fonte de deuxième fusion utilisée pour la production d’objets par moulage destinée au bâtiment et à la décoration : tuyauteries, grilles, rambardes de balcon, fontaines, statuaires civiles et religieuses dont les croix funéraires.

D’abord prisées par les milieux aisés, les croix en fonte commencent à s’implanter dans les cimetières des villes sur les monuments en pierre, accompagnées d’éléments de décoration comme des grilles, des jardinières, des vases, des portes couronnes et des plaques de noms émaillées.

La production de masse et la diffusion de catalogues auprès des sociétés de pompes funèbres, mais aussi le transport par le chemin de fer, en facilitent la vente. 2600 modèles de croix ont été recensés dans les différents catalogues de fonderies qui sont encore conservés dans les services d’archives.

La taille et le poids, dont découlent le coût du transport et la réalisation du support, déterminent le prix de vente. Pierre Martin de la Société d’Archéologie et d’Histoire de la Mayenne a estimé l’achat et la mise en place d’une croix de 1,45 m de haut et pesant 16,5 kg, à 150 F en 1926. Le salaire d’un ouvrier tisserand dans cette région était de 25 F par jour.

Dès la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, les croix en fonte remplacent les croix de bois utilisées auparavant.

 

Une production variée, essentiellement à thématique chrétienne…

Si l’offre des catalogues est importante, la technique nécessite que le motif soit coulé à plat. Aussi, si des motifs profanes sont proposés, ils ont souvent pour support une croix latine. On a recours, dans ce cas, aux motifs floraux représentatifs de sentiments par exemple : la rose pour l’amour, le lierre pour l’attachement ou la pensée pour le souvenir. Des coulages en forme, plus onéreux, représentent des urnes drapées, des saules, des statues ou emblèmes. Après la Première Guerre Mondiale, les fonderies proposeront des croix ornées de drapeaux, de palmes, de Croix de Guerre pour honorer les défunts morts au combat.

Les motifs chrétiens sont beaucoup plus variés, faisant appel à toute la symbolique développée au XIXe siècle: épis de blé et vigne, cœurs enflammés ou transpercés, initiales (IHS Iésus Homo Salvator : Jésus sauveur des hommes), des scènes des Évangiles (Baptême du Christ, Sainte Face),

Des personnages sont également utilisés comme éléments principaux ou en décoration auxiliaire : saints, anges ou angelot pour les enfants.

Les Christs ou les Vierges restent les sujets principaux de ces croix.

Les représentations de la Vierge sont majoritairement sous deux formes : priant les mains jointes, ou dispensatrice des grâces divines. Ces formes trouvent leur origine dans la large diffusion des images des apparitions mariales de Lourdes et de la rue du Bac à Paris.

 

Une nouvelle croix de chemin, croix de carrefour…

La croix mise en place au carrefour de Verzun renoue avec la tradition des croix de chemin qui parsemaient les routes de nos campagnes. Son emplacement en fait une croix de carrefour, qui avant le GPS, servait de repère aux voyageurs mais aussi de halte pour les convois funèbres que l’on suivait à pied.

Elle est centrée sur une représentation de la Vierge dispensatrice des grâces divines, image qui circula en France et dans le monde à partir de 1832, après la révélation de la « Médaille miraculeuse » par Catherine Labouré, voyante de la Rue du Bac.

Aucune indication ne permet de savoir dans quelle fonderie cette croix a été réalisée. Une hypothèse de datation peut être faite en analysant le style de l’ensemble.

Tout d’abord le traitement de l’image mariale est assez moderne.

Si la posture générale de la Médaille est conservée, bras ouverts, pied droit écrasant la tête du serpent enroulé sur un globe, elle diffère dans certains détails. Le visage n’est pas penché vers l’avant mais relevé vers le haut, dirigé légèrement vers sa droite donnant une expression d’imploration ou d’intercession. Le voile, qui habituellement s’étend de chaque côté jusqu’au sol est rétréci au milieu du corps et se prolonge uniquement dans le dos, allongeant la silhouette. Le plissé de la robe abandonne l’aspect d’un tissu lourd, pour un drapé plus simple et plus fluide marquant plus les formes du corps.

Le traitement des vêtements rappelle les gravures de mode des années 1920-1930 qui montrent des silhouettes allongées, revêtues de tissus souples coupés dans des formes épurées.

A noter, par ailleurs la présence d’une croix sur la poitrine qui nous renvoie plus vers les apparitions de La Salette ou de Pontmain que celle de Paris.

Les décors des bras de la croix sont également plus simples, voire stylisés comme les fleurs de lys, symbole de la pureté de la Vierge et de l’abandon à la divine Providences, situées de chaque côté et au-dessus de la tête. Seuls les bouts des branches terminés par  des volutes en forme de cœur conservent les motifs traditionnels des croix de fonte.

Aux quatre angles de l’intersection des bras de la croix sont disposées des fleurs composées de 5 pétales  pointus et 4 étamines disposées en carré avec en arrière-plan des feuilles découpées, difficile à identifier.

Le pied de la croix présente aussi des volutes simples, pas filigranées et peu chargées, proche du style « Art nouveau ».

Ces différents éléments d’analyse peuvent laisser penser que cette croix a été moulée dans le premier quart de XXe siècle. Une recherche plus approfondie dans les catalogues permettrait d’affiner et compléter ce début d’étude.

 

Un patrimoine à préserver…

La production de croix métalliques a cessé progressivement à partir des années 1940.  Au milieu des années 50, la reprise de concessions anciennes a entraîné leur disparition au profit de monuments en pierre ou en ciment. Elles ont été regroupées dans un coin des cimetières ou stockées par les sociétés de pompes funèbres.

Cette croix nous a été offerte par Monsieur Didier BEAUDONNET, Pompes Funèbres à Bellenaves et nous le remercions.

L’initiative d’Emmanuel Bardot de transformer cette croix en fonte funéraire en croix de chemin, nous rappelle la nécessité de préserver et de mettre en valeur un patrimoine aujourd’hui en danger.

 

André-Pierre DESRUES